lundi 29 janvier 2024

Café littéraire # 62

La météo nous ayant laissé un bref répit, ce sont neuf lectrices assidues qui se sont retrouvées pour ce 62ème Café littéraire. Nous avions quelques absentes qui n’étaient pas disponibles le mercredi, mais nous avons accueilli pour la première fois Armelle. 

Catherine nous présente Sa préférée de Sarah Jollien-Fardel, un premier roman, cadeau de son mari. Dans ce village haut perché des montagnes valaisannes, tout se sait, et personne ne dit rien. Jeanne, la narratrice, apprend tôt à esquiver la brutalité perverse de son père. Dès lors, la haine de son père et le dégoût face à tant de lâcheté vont servir de viatique à Jeanne. Dans une langue âpre, syncopée, Sarah Jollien-Fardel dit avec force le prix à payer pour cette émancipation à marche forcée. Car le passé inlassablement s’invite. Et puis il y a la sœur aînée qui a tout subi elle aussi, mais si elle était Sa préférée, nul ne saura vraiment ce qu’elle a vécu, si ce n’est les quelques révélations faites à sa jeune sœur, puis sa disparition. Et la mère qui a quitté le foyer, ne supportant plus la situation. Un roman rude qui a obtenu plusieurs prix littéraires dont le « Prix du roman Fnac 2022 ». Catherine nous le recommande vivement. 

Martine a deux livres à nous présenter, tout d’abord Mohican, d’Eric Fottorino, un auteur qu’elle apprécie beaucoup. Dans un Jura rude et majestueux se noue le destin d’une longue lignée de paysans, un sujet douloureusement d’actualité. Pour léguer ses terres à son fils Mo et éviter la faillite, Brun décide de couvrir ses champs de gigantesques éoliennes. Mo, lui, aime la lenteur des jours, la quiétude des herbages, les horizons préservés. Quand le chantier démarre, un déluge de ferraille et de béton s’abat sur sa ferme… Avec Mohican, Éric Fottorino mobilise toute la puissance du roman pour brosser le tableau d’un monde qui refuse de mourir. Un livre très parlant pour Martine ! Elle passe à un tout autre sujet avec L’amour de François Bégaudeau. L’auteur signe un roman bref d'un centaine de pages dans lequel il embrasse l'histoire d'amour et la vie commune d'un couple ordinaire de classe moyenne, Jacques et Jeanne Moreau sur près de 50 ans. Un bel exploit de raconter une vie en 96 pages et finalement, on constate que tout est dit. On rit parfois, on est ému souvent mais ce n’est pas larmoyant, un roman à contre-courant sur la beauté des couples qui durent toute une vie. 

Jeannine nous a apporté trois livres, elle a lu Hortense de Jacques Expert, présenté la dernière fois par Fabienne, et elle l’a trouvé très bien, fidèle aux commentaires de cette dernière. Elle a enchaîné avec un livre qui fait beaucoup de bruit en ce moment, Mon mari de Maud Ventura, un premier roman qui est déjà best-seller. Dans ces deux romans, on rencontre des nanas complètement cinglées (sic). La narratrice est mariée à un homme qu'elle adore, tout son monde tourne autour de lui, elle pense constamment à lui, plus qu'à leurs enfants, elle fait tout en fonction de lui...Le roman se déroule sur une semaine et, de jour en jour, la douce folie de Madame prend le pas sur l'apparent bonheur du couple. Jeannine nous le conseille, c’est un ovni, mais c’est très bien. Et voici un livre magnifique qui lui a été offert par ses amies, Histoire de la nuit de Laurent Mauvigné. Au début Jeannine qui aime les écritures efficaces, les phrases courtes, a été désorientée par ce livre, car une phrase peut tenir une page. Et il fait plus de 600 pages, mais elle a adoré ! Il a une façon d’écrire incroyable, on a l‘impression qu’il est dans notre tête. Pour résumer, ça se passe dans un hameau aux alentours de La Bassée, tristement baptisé "Les Trois filles seules", où vivent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi que Christine, une artiste peintre ayant troqué l’agitation parisienne pour la vie rurale. Trois individus vont faire irruption le soir de l’anniversaire de Marion, et vont bouleverser l’existence tranquille de tout ce petit monde. Un huis clos se construit alors, dans lequel les personnages seront emprisonnés le temps d’une nuit. Jeannine a l’impression d’avoir été manipulée par l’auteur, on rentre complètement dans son univers. Un thriller étouffant ! 

Danièle est dans un tout autre registre avec une biographie qu’elle a lu comme un roman, Barbara, un ange en noir d’Alain Wodraska, écrivain, biographe et auteur de chansons. Dans cette biographie intime, l'auteur revient sur la vie de la « longue dame brune » qu'il a côtoyée pendant plus de dix ans. Il nous fait découvrir une femme qui était, en privé, aussi drôle et volubile qu'elle était tragédienne et grave sur scène. Il raconte une Barbara méconnue. L'histoire d'une femme qui a traversé les années avec passion malgré les drames qui ont jalonné sa vie, notamment la guerre, l'inceste, la fugue et la maladie. Barbara, c'est un ange noir qui s'est mis à nu dans son œuvre et a tout donné à son public. Un livre qui fait frissonner ! Pour illustrer le sujet, Danièle, passionnée par les livres jeunesse, a apporté un album intitulé L’aigle noir, dont les paroles de la chanson sont merveilleusement illustrées par Edmée Cannard. Sortons de la musique pour nous plonger dans l’apocalypse, lors d’une émission de radio qu’elle écoutait dans sa voiture où l'on parlait de coupures d’électricité, les chroniqueurs ont évoqué ce roman de René Barjavel qui s’appelle Ravage. Danièle s’est donc replongée dans ce livre terrifiant, un roman de science-fiction qui peut résonner avec notre époque. En 2052, tout le fonctionnement de la société repose sur la technologie. La ville de Paris a été reconstruite à partir des travaux de l'architecte Le Cornemusier (paronyme de Le Corbusier), seul Le Sacré Coeur, vestige de l'ancienne civilisation, domine encore la capitale. Les véhicules se déplacent dans les airs, les robinets distribuent de l'eau et du lait. Les grands écrans ont envahi les logements. Un jour, une gigantesque panne d'électricité paralyse tout le monde. Rapidement, vivre devient impossible et il faut se battre pour survivre. Il y a des scènes très dures à lire, mais ça fait réfléchir. Et si ça arrivait ? 

Pour nous réconforter, nous faisons une pause avec dégustation de galettes et de cidre mis au frais par Nanou. 

Armelle est venue en observatrice, mais elle nous présentera un livre la prochaine fois.

C’est donc au tour de Christine de nous parler d’un livre d’Elizabeth Little, Les filles mortes ne sont pas aussi jolies, un titre qui aiguise la curiosité. C’est un thriller psychologique singulier, truculent. Une peinture au vitriol du monde du cinéma... A priori, Marissa Dahl n'a rien d'une enquêtrice. Timide, un brin asociale, elle cherche surtout à éviter les ennuis. Monteuse de films au talent remarquable, elle vient d'être engagée sur un long-métrage dont le tournage a lieu sur une île isolée. Malgré son comportement tyrannique, on ne refuse pas une offre de Tony Rees, metteur en scène réputé. En arrivant à Kickout, Marissa comprend que quelque chose ne tourne pas rond : une atmosphère de secrets et de paranoïa, des acteurs et des autochtones mal à l'aise. Il faut dire que le film relate une vraie histoire de meurtre, survenu sur l'île vingt ans plus tôt. Pourquoi un tel projet ? Marissa n'en sait pas assez. Elle veut en savoir plus, bientôt elle en saura trop. Alors, il sera trop tard pour revenir en arrière... C’est assez divertissant et ça tient en haleine, Christine voulait tellement arriver au dénouement qu’elle prenait son livre dès qu’elle avait cinq minutes. Quand on ne connaît rien à l’univers du cinéma, c’est intéressant de se retrouver plongé au cœur du tournage, du montage et de toute la technique, ça nous sort de notre quotidien…

Isabelle a lu La petite chartreuse de Pierre Péju, Prix du Livre Inter 2003, un très beau roman que quelques personnes de l’assemblée ont déjà lu. Ça débute comme une histoire de tous les jours qui pourrait arriver à n’importe qui. Une fillette sort de l’école, sa mère est en retard, il pleut. Elle rentre seule, se perd. Aveuglée par les larmes, elle traverse la chaussée glissante sans regarder. Le destin la met sous les roues de la camionnette du libraire Vollard. A la suite de cet accident, la fillette sombre dans le coma. À son chevet, le libraire décide de lui raconter des histoires. Un roman émouvant qui rend hommage à la littérature. A partir d'un banal accident de la route, Pierre Péju entrecroise les histoires de trois solitudes et nous offre un roman déchirant et miraculeusement juste. C’est très bien écrit, Isabelle a beaucoup aimé. 

Chantal continue avec Acide, un premier roman de Victor Dumiot, jeune auteur rencontré à Besançon au mois de septembre. En résumé, Camille voit sa vie basculer un jeudi soir dans le métro, lorsqu’elle se fait vitriolée Quand elle se réveille à l'hôpital quelques mois plus tard, elle n'a plus de visage. Son agresseur a disparu sans laisser de traces. Après moult opérations, les chirurgiens essayent de lui rendent un visage plus au moins humain. Julien, lui, vit enfermé dans son appartement. Solitaire, il passe l'essentiel de son temps à consommer des images pornographiques et à surfer sur le darknet. Un soir, il télécharge par hasard une vidéo de l'agression. Alors qu'il s'enfonce peu à peu dans une spirale de violence et d'autodestruction, il ne pense plus qu'à une chose : retrouver la jeune femme. A la fin ils se rencontrent, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il va se passer. Chantal est restée sur sa faim. Ce n’est pas un roman à mettre entre toutes les mains, même si l’écriture est très forte, on parle beaucoup de pornographie, de violence, c’est assez hard, il faut s’accrocher… 

Je terminerai par quelque chose de plus léger. Tout d’abord j’ai lu Fille en colère sur un banc de pierre de Véronique Ovaldé, qui est venue à Montbéliard en novembre dans le cadre des Petites Fugues. Je ne reviendrai pas sur le livre, présenté il y a un an par Catherine, mais j’ai beaucoup aimé cette histoire et le climat sicilien dans lequel elle se déroule. J’avais acheté en septembre un livre de Claire Renaud, qui finalement n’est pas venue à Besançon comme prévu. Cinq articles maximum est un roman se déroulant sur une journée. Juliette, étudiante, travaille pour financer ses études, dans un magasin de vêtements d'une grande chaîne, à Niort. Elle s'occupe principalement des cabines. Elle range, nettoie, plie.. Elle assiste à des tranches de vie de femmes de tout âge et de toute condition. Claire Renaud brosse ainsi  une galerie de portraits, parfois acides, parfois très drôles, mais toujours justes et remplis d'humanité. Elle nous dévoile aussi l'envers du décor, les conditions de travail dans ces chaînes de magasin où tout est normé pour faire du chiffre au détriment des rapports humains. J’ai passé un bon moment ! Autre livre d’une jeune autrice que j’aime beaucoup, Julia Deck, qui raconte les choses avec beaucoup d’humour. J’avais déjà présenté Propriété privée, là il s’agit de son dernier livre Monument national, qui autour d’une gloire vieillissante du cinéma français, met en scène une galerie de personnages hauts en couleur qui tentent d’ajuster leurs rêves à la réalité. Le « monument national », c’est Serge Langlois, équivalent fictif d’un Delon ou d’un Belmondo, gloire vieillie du cinéma français autour duquel gravitent, en son château, les nombreux personnages du roman. Entre people, « gilets jaunes », danseurs de hip-hop et couple présidentiel, on voit vite les similitudes avec des personnalités existantes. L’autrice nous offre une fable réjouissante qui confronte la France d'en haut et la France d'en bas. C’est drôle, mais pas que… 

Bernadette 

 Le prochain Café littéraire se déroulera le Mardi 5 mars à 19h30 à la Louisiane