Nous commençons par un rapide compte-rendu de la rencontre au Lycée Mandela dans le cadre des « Petites Fugues ». Nous n’étions que deux pour cette rencontre, Gilles et moi. L’auteur invité, Olivier Bleys, a publié plus de 35 romans à ce jour, c’est un grand marcheur, ce qui l’inspire beaucoup, mais avec Antarctique, il s’essayait au thriller pour la première fois. J’avoue que ce n’est pas le genre de livre que j’ai l’habitude de lire, et pourtant je l’ai dévoré. Pour résumer, en 1961, cinq hommes occupent la station polaire soviétique de Daleko dont la seule finalité est la présence russe en Antarctique. Lors d’une partie d’échecs qui tourne mal, un meurtre est commis à coup de hache. Mais que faire d’un cadavre et d’un meurtrier, quand on est coupé du monde ? Un huis clos implacablement réglé, inspiré d’un fait réel, qui se transforme en un roman d’aventures original et haletant, imprégné d’humour noir. Les élèves ont posé des questions très pertinentes, et encore une fois ce fut une belle rencontre.
La séance débute avec Armelle qui souhaite nous parler d’une série de best-sellers, La femme de ménage de l’écrivaine américaine Freida MacFadden. Chaque tome raconte l’histoire de cette femme de ménage, rejetée par ses parents, avec une jeunesse mouvementée, qui a vengé une amie violée en tuant l’auteur des faits, et qui se retrouve en prison. A sa sortie, le seul travail qui s’offre à elle, est d’être femme de ménage chez des gens riches. Et finalement, sa mission est de défendre des femmes maltraitées. Une mission qui la poursuit au fil de toute la série. Armelle trouve que c’est bien raconté, bien écrit, avec une bonne intrigue et l’on est surpris à chaque fois par le dénouement. Même si ses romans ont été démontés par des magazines littéraires, elle a passé un bon moment en les lisant.
Fabienne a lu un livre de Yasmina Khadra, Le sel de tous les oublis, paru en 2020. Adem Naït-Gacem vit en Algérie dans les années 60 juste après l’indépendance. Instituteur dans un petit village, il est brisé par le départ de sa femme qui vient de le quitter pour un autre. Alors lui aussi va tout abandonner, ses élèves, son quartier, ses amis et sombrer dans l’alcool. Réalisant que ce n’est pas une solution, il entame un voyage initiatique en solitaire et va croiser au cours de son périple des personnages improbables. C’est très bien écrit, Fabienne nous en lit quelques passages. Un livre qui se lit comme un thriller, mais qui est d’une grande profondeur psychologique. Le second, Fabienne l’a trouvé dans une boîte à livres, elle a été séduite par la couverture. Et pourtant le bonheur est là d’Enrico Galiano est un livre pour ados, dans lequel elle s’est laissé embarquer. Gioia a toujours été à part du reste du monde L’arrivée de Lo dans sa vie vient toutefois chambouler ses habitudes. Tout de suite, Gioia s’éprend de ce garçon solitaire et mystérieux qui la comprend, qui la fait rire, qui lui donne l’impression qu’elle est normale. Alors quand il cesse de venir à leur lieu de rendez-vous nocturne et ne laisse aucune nouvelle, elle panique et part à sa recherche. Ce que Fabienne a aimé aussi dans ce livre, c’est que la jeune fille collectionne dans un carnet des mots étrangers intraduisibles, répertoriés à la fin du livre. Ce roman italien bouleverse par l'exploration des sentiments de deux adolescents en souffrance psychique. Il ouvre sans cesse avec intelligence sur les questions philosophiques du sens de la vie. Apparemment, il y a un tome 2, affaire à suivre…
Je souhaite présenter deux livres achetés lors des « Livres dans la boucle ». Il pleut sur la parade est un premier roman d’une jeune Nancéenne, Lucie-Anne Belgy. Après avoir lu un article dans le journal local, j’ai compris que c’était en grande partie autobiographique. C’est d’abord une histoire d’amour au sein d’un couple mixte, lui est juif, elle catholique, avec toutes les difficultés que ça peut engendrer, mais c’est surtout l’histoire de leur fils Ariel, qui dès son deuxième anniversaire, a de sérieux problèmes de comportement avec les autres enfants, la violence étant pour lui la seule façon de communiquer. Le tout agrémenté d’une bonne dose d’humour mais aussi d’émotion. Le titre m’a intrigué, c’est une vieille expression d’origine anglaise qui signifie « gâcher la fête à quelqu’un ». Pour moi, c’est un premier roman très réussi. Le second est d’un tout autre genre, Fabrice Capizzano a été apiculteur pendant une dizaine d’années. Une salamandre à l’oreille est son troisième roman, mettant en scène Samuel, ancien auteur à succès, devenu apiculteur suite à la mort tragique de sa compagne. Sept ans après, il vit en repli sur ses ruches, entouré de ses trois enfants, et de son vieil ami Robert, alcoolique mais lucide. Dans le village du Vercors où ils habitent, les regards sont lourds de non-dits et s'ajoutent au poids d'une culpabilité qui semble accabler Samuel. Chaque chapitre porte un titre en rapport avec les abeilles et nous parle de ces dernières, avant de plonger dans l’histoire. Le style est surprenant, pouvant passer d’un langage poétique à des mots orduriers, et décrivant même des scènes de sexe de façon très osée. J’ai trouvé d’occasion ses deux premiers livres, avec des couvertures aussi belles et des titres aussi intrigants, je m’apprête à les lire et j’en reparlerai.
Isabelle a également apporté deux livres, L’alphabet du silence de Delphine Minoui, un roman où l’auteur nous met face aux faits tragiques qui ont agité ces dernières années la Turquie. La vie de Göktay et Ayla, un jeune couple d’universitaires et parents d’une fillette de six ans, bascule brutalement en janvier 2016 lorsque Göktay est arrêté et incarcéré pour avoir signé une pétition de trop : le « Manifeste pour la paix ». Son épouse n’est pas une enseignante engagée, mais progressivement, après être restée recluse un temps, elle va s’impliquer dans la lutte contre les arrestations arbitraires et tout faire pour sortir son mari de prison. Un livre très intéressant, qui mérite vraiment d’être lu. Isabelle ne se souvenait pas avoir lu Amélie Nothomb, elle a donc choisi Le fait du prince, publié en 2008, et elle a adoré. Un homme vole l'identité d'un inconnu. La vie de Baptiste Bordave, une vie morose et banale, va soudainement changer quand, un jour, un homme sonne chez lui pour téléphoner et meurt subitement. Ne sachant que faire, il décide de prendre l'identité du mort et devient donc Olaf Sildur. C’est loufoque, ça se lit avec plaisir.
Gilles a découvert Pierre Lemaître, auteur qu’il ne connaissait pas, à travers sa trilogie relatant la guerre de 14 et l’entre-deux-guerres, et de sa dilogie (mot peu utilisé que j’ai découvert), qui parle des « trente glorieuses ». En fait, ce sera une trilogie, peut-être même une tétralogie quand la suite paraîtra. Dans les deux premiers tomes, Le grand monde et Le silence et la colère, on fait la connaissance, en 1948, à Beyrouth, de la famille Pelletier, un couple avec trois enfants qui vont avoir des destinées très différentes. On voyage de Beyrouth à Saïgon, en passant par Paris. On suit les péripéties des membres de la famille Pelletier, dont les drames personnels se mêlent aux évènements historiques. C’est merveilleusement écrit et Gilles nous invite chaudement à les lire. Renseignements pris, le troisième Un avenir radieux est paru, donc il pourra lire la suite. Poursuivons avec Michel Folco, qui a écrit, il y a déjà de nombreuses années, sur une famille de bourreaux. Dieu et nous seul pouvons, titre du roman, est la devise écrite au fronton de la maison du bourreau. Gilles nous raconte de multiples anecdotes sur cette profession, et nous en apprendrons d’autres en lisant le livre.
Quant à Edith, elle a beaucoup aimé Tressaillir de Marie Pourchet. Michelle, l’héroïne est mariée, mère d’une petite fille et on ressent dès le début du roman qu’elle a du mal à supporter ce mari autoritaire et rigide. Elle quitte la maison en pensant découvrir la liberté mais elle éprouve, prostrée dans une chambre d'hôtel, le supplice de l'arrachement. Une amie va venir à son secours, en lui proposant une mission dans un lycée des Vosges, région dont elle est originaire. En acceptant, elle va faire un long cheminement, revivre son enfance et ses traumatismes, elle doit remettre sa vie en question pour prendre la bonne décision, revivre avec cette homme ou pas. Toute une recherche personnelle assez forte, portée par un style percutant, mais qui s’adapte au déroulement du récit. Un livre perturbant !
Chaque fois que Françoise voyait Emmanuel Carrère à la « Grande Librairie », elle avait un coup de cœur pour lui et pensait qu’elle devait découvrir ses livres. C’est chose faite avec Yoga, paru en 2020, un livre de 400 pages qu’on a du mal à reposer. En parler est difficile, car c’est foisonnant, il est parti dans le Morvan suivre un stage intensif « méditation et yoga », et s’en est suivi ce livre, sur le yoga et la dépression, la méditation et le terrorisme, l’aspiration à l’unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n’ont pas l’air d’aller ensemble, et pourtant elles sont étroitement liées. Un seul conseil, Lisez-le !
Cette fois Christine a pris le temps de lire un roman qu’on lui a offert et dont on a souvent parlé ici, le Goncourt 2023. Malgré un emploi du temps chargé, elle s'y est plongée et ça l’a passionnée. Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andréa raconte un demi-siècle d’histoire de l’Italie où deux personnages principaux se répondent : Mimo et Viola. Mimo est pris en charge par son « oncle » Alberto sculpteur de métier malgré « un piccolo problema », une tare visible et moquée de tous. Il souffre d’achondroplasie. À San Pietro, que va-t-on pouvoir faire de lui à part l’exploiter ? Viola a presque le même âge lorsqu’ils se rencontrent. Facétieuse, futée, et très intelligente, elle aime lire, retient tout ce qu’elle apprend et se donne comme mission de le transmettre, dit ce qu’elle pense et a un avis sur tout. Christine nous affirme que ce sculpteur a existé et qu’elle va faire des recherches sur lui. Moi il me semblait que non, et mes recherches me l’ont confirmé. Dans Version Fémina voilà ce qu’on peut lire : Ce n'est pourtant pas le cas, comme l'avait confirmé Jean-Baptiste Andrea lors d’un entretien accordé au site des magasins Cultura. « Si vous allez à l’abbaye Sacra di San Michele [où se déroule une partie du roman, ndlr], et demandez à voir la Pietà Vitaliani cachée dans ses souterrains, on vous répondra qu’un romancier français a tout inventé, que Mimo Vitaliani n’existe pas et qu’il n’y a pas de Pietà cachée dans les souterrains… ». Le personnage de ce sculpteur surdoué, passionné et parfois un brin arrogant a donc été intégralement façonné par l'auteur, tout comme l'autre personnage central du roman, Viola. Réel ou imaginaire, ceci n’enlève rien à la beauté de ce roman fascinant.
Jeanine a aimé La machine à coudre de Sami Nouri, un livre caché dans sa pile à lire, qui lui a été offert par une maman d’élève rencontrée il y a trois ans. Elle l’a ressorti pour pouvoir en discuter avec elle, et triste coïncidence, cette dernière atteinte d’un cancer, est malheureusement décédée le jour où Jeanine entamait ce livre. Elle est très émue à cette évocation, mais va néanmoins nous en parler. Sami Nouri a cinq ans lorsqu'il doit fuir avec sa famille l'Afghanistan et le régime des talibans. D'abord pour l'Iran, ensuite pour l'Europe et la France, dans des conditions effroyables. Derrière lui, il laisse la machine à coudre, cet objet de fascination qui a assuré leur survie à tous et sur laquelle son père lui a appris le métier. Arrivé seul en France à quatorze ans, ne parlant pas un mot de la langue, il est déplacé de foyer en foyer, perdu dans un monde dont il ne connaît rien. Sami se raccroche au souvenir de sa machine. Sans elle, il ne sait rien faire. Jusqu'au jour où l'on découvre son talent de couturier. Commence alors l'aventure qui le mènera dans les maisons de haute couture les plus prestigieuses. Mais sa première machine, il ne l'a jamais oubliée. Une histoire incroyable, marquée par l’exil, la pauvreté, la solitude mais aussi par la ténacité dont il a fait preuve et la rencontre de plusieurs personnes qui ont su l’aider au bon moment.
Grande fan de Sorj Chalandon, Chantal nous parle de son dernier livre, Le livre de Kells. Pour son douzième roman, l’auteur a puisé dans son expérience personnelle pour raconter un épisode de sa vie. Kells, c’est le nom d’un personnage tiré d’un récit celtique du IXᵉ siècle, nom qu’il adopte à 17 ans. Après avoir quitté le lycée, Lyon et sa famille, il arrive à Paris où il va connaître, durant presque un an, la misère, la rue, le froid, la faim. Un livre extrêmement émouvant dont Chantal nous lit un extrait pour nous en faire goûter l’écriture. Dans ce roman d’apprentissage, il raconte ses débuts à Paris, dans la rue, ses engagements politiques et ses rencontres fondatrices. Un récit sincère et bouleversant sur la colère, la liberté et la fin des illusions. La suite, on la connaît à peu près : un peu par hasard, et grâce à un dessin de presse, Sorj Chalandon réussira à entrer par la petite porte au journal Libération, amorçant le début d’une grande carrière de journaliste. Edith qui l’a lu également avait du mal à ouvrir le livre le soir, sachant que ça n’allait pas être une lecture facile.
Nous terminons avec Gérard qui aime bien les polars, et en particulier Bernard Minier, dont le roman Un œil dans la nuit lui a beaucoup plu. Un réalisateur culte de films d’horreur, vit retiré du monde au fond de ses montagnes…Misanthrope, arrogant, fou, et pourtant son nom fait se pâmer tous les étudiants en cinéma. Enfin une série de meurtres abominables qui pourrait bien trouver son origine dans un film maudit… Martin Servaz, enquêteur récurrent, va être confronté à la plus grande énigme de sa carrière ! Un polar haletant qui va vous faire frissonner. Dans un tout autre genre, Gérard est allé dénicher une pépite au rayon jeunesse de la Médiathèque, L’enfant, la taupe, le renard et le cheval, de Charlie Mackesy, nous plonge dans une histoire d’amitié entre un enfant, une taupe gourmande et pleine de vie, un renard que les épreuves ont rendu méfiant et un cheval sage et serein. Tous les quatre explorent le vaste monde. Ils se posent des questions. Ils traversent des tempêtes. Ils apprennent à s’aimer. Ça rappelle un peu Le petit prince, il y a beaucoup de leçons à tirer de ce très beau livre, qui peut redonner confiance aux enfants. Gérard l’a déjà lu deux fois, pour lui c’est un bijou !
Bernadette
Le prochain Café littéraire aura lieu le Mardi 6 janvier à 19h à la Louisiane
