Pour une fois, j’ouvre la séance car mon coup de cœur a obtenu le Prix Goncourt le matin même. Il s’agit de Jean-Baptiste Andrea avec son roman Veiller sur elle, dont j’ai dévoré les presque six cents pages tellement l’histoire est prenante. Au début du livre, on se trouve dans une abbaye où le héros est en train de mourir, après y avoir passé quarante ans, sans prononcer de vœux, juste pour veiller sur elle, elle c’est sa dernière œuvre, une piéta à qui l’on prête des pouvoirs, mise à l’abri dans ce lieu par le Vatican. L’auteur reprend toute la vie de ce sculpteur très doué, avec en parallèle une poignante histoire d'amour entre deux enfants que tout sépare, durant la montée du fascisme, mais sans oublier tout le génie de l’art italien. Une très belle écriture, une lecture où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Et j’ai la chance d’avoir rencontré l’auteur qui me l’a dédicacé. Autre jeune auteur découvert à Besançon, Quentin Ebrard qui a écrit un court premier roman hors des sentiers battus, cachant une révélation complètement inattendue. Dans Pourvu que mes mains s’en souviennent, nous sommes dans une étrange colonie de vacances, avec des disparitions, des mauvais traitements, une directrice cruelle épaulée par une équipe de tortionnaires. C’est tout cela que Louise raconte alors qu’elle peaufine son plan d’évasion, aidée de Juliette et Simon. Je dois être un peu naïve, mais je n’avais pas vu la fin arriver. Bref, je n’en dis pas plus, lisez-le…
Fabienne, qui affectionne les polars, nous parle du livre de Jacques Expert, Hortense, inspiré d’un fait réel. L’ex-mari de Sophie, qui l’a abandonné alors qu’elle était enceinte, lui enlève sa fille Hortense. Après des années de recherche, Sophie se fait bousculer dans la rue par une jeune femme, elle croit reconnaître sa fille, la suit, l’aborde, l’auteur multiplie les pistes, enchaîne les rebondissements jusqu’à un dénouement complètement imprévisible. Passons à L’horizon d’une nuit de Camilla Grebe, une autrice suédoise. Banlieue de Stockholm, Yasmin disparaît en pleine nuit. Samir, son père est accusé du meurtre. Une chose impensable pour Maria sa femme, mais petit à petit, le doute l’envahit… Les inspecteurs Gunnar Wijk et Ann-Britt Svensson sont chargés de l’enquête. Jamais faux-semblants et mensonges n’auront autant régné. Il faut attendre la dernière page pour connaître le dénouement auquel on ne s’attend vraiment pas.
Cédric a renoué avec la figuration, puisqu’il est allé sur le tournage de Leurs enfants après eux, d’après le livre de Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018. Il avait lu son précédent roman, Aux animaux la guerre, qu’il avait bien aimé, pas pas celui-ci. Donc il fallait le lire, et c’est ce qu’il a fait pendant le tournage. C’est un livre assez violent qui s’étend sur quatre étés, de 1992 à 1998, dans une vallée où les hauts-fourneaux sont à l’arrêt. A travers quelques personnages, dont des adolescents, le portrait d’une France qui change profondément, où ceux qui restent savent qu’ils n’ont aucune chance, malgré les miroirs aux alouettes que politiques et société de consommation leur font miroiter. Le film sortira dans six mois environ. Ça a été tourné à Hayange, ville qui reflète un peu la misère de cette crise. Cédric choisit de nous lire un passage, le portrait d’une femme qui lui a fait penser à sa mère. Il avait préféré le livre précédent, car le fil conducteur est plus difficile à suivre dans celui-là, mais ça décrit bien la vie de ces gens.
Nous allons changer d’ambiance avec Rosemay qui nous présente Au-delà de la vérité, un livre pour s’évader, de Lucy Clarke, une jeune romancière britannique. Quand Katie apprend la mort de sa petite sœur Mia en voyage pour un tour du monde, elle ne peut croire à la thèse du suicide. Le carnet de voyage de Mia en poche, elle part à la recherche de la vérité. De page en page, de pays en pays, de secrets en révélations, le mystère va s'éclaircir. Un récit bien ficelé qui nous tient en haleine jusqu’au bout, Rosemay a adoré ce livre plein de fraîcheur qui l’a replongée dans des souvenirs de voyages.
Isabelle se replonge dans des livres un peu anciens, en particulier Nuits de princes de Joseph Kessel, publié en 1927, un roman dont l'histoire met en scène les immigrés russes dans le Paris des années folles. Proche de ces derniers par ses origines familiales, l’auteur a ardemment partagé leurs misères et leurs rêves. Ils vivent souvent dans des taudis, mais se retrouvent pour faire la fête dans le Montmartre de l’époque. Outre sa valeur littéraire, Nuits de princes a la force d'un document vrai, qu’Isabelle a lu avec plaisir. Elle souhaite aussi nous parler d’un livre plus régional, puisqu’écrit par Yves Turbergue, auteur audincourtois. Avec « Camille », il signe son quatorzième roman, l’histoire d’une femme au physique disgracieux qui voulait « aimer et être aimée ». Différente, un physique ingrat, enfin c'est ainsi que Camille se voit, elle doit traverser l'enfance d'abord, l'adolescence ensuite, puis continuer sa vie. L'histoire se déroule durant les deux guerres mondiales. Il lui manque des dents, elle a un goitre, mais elle épouse néanmoins un italien et va subir le rejet que subissent les émigrés de cette époque. L’histoire a plu à Isabelle, mais elle trouve que le style est parfois un peu pesant.
Après une petite pause désaltérante, Christine reprend avec Chaque serment que tu brises de Peter Swanson, un petit thriller psychologique sans prétention qui se laisse lire avec plaisir. Abigaël vient d'épouser Bruce, un millionnaire new-yorkais qui semble avoir toutes les qualités du monde. Pourtant, leur lune de miel sur une île paradisiaque va progressivement tourner au cauchemar. Faux semblants, jalousie et manipulation sont au cœur de ce roman qu’on ne peut pas lâcher.
Bien qu’étant en vacances, Jeannine n’a pas beaucoup lu, elle se demande ce qu’elle a fait de son temps. Elle a quand-même lu des petits trucs (sic), comme elle a beaucoup aimé Jacky Schwartzmann, cet auteur bisontin, dont elle nous a déjà parlé, elle est allée aux "Papiers bavards" et elle a pris tout le stock. C’est policier mais pas que, par exemple dans Pension complète, on retrouve Dino Scala, obligé de quitter sa compagne richissime et les fastes du Luxembourg après un petit dérapage, qui échoue au camping des Naïades, perché sur les hauteurs de La Ciotat. Il fait la connaissance de Charles Desservy, prix Goncourt et véritable handicapé social venu se confronter à la vie normale. Contre toute attente, le pseudo-gigolo et l’écrivain se lient d’amitié. Mais au paradis des tentes Quechua, des pieds puants et des mojitos sous-dosés, les cadavres commencent à s’accumuler... C’est drôle, bien écrit, avec des critiques sur la société. Jeannine est fan, ce n’est pas si léger que ça ! Il lui en reste deux à lire et elle aura lu les œuvres complètes. Par la même occasion, elle a acheté Petites histoires cruelles de Camilla Läckberg, réunissant deux récits. Dans le premier, trois femmes humiliées, battues, blessées par les hommes, se vengent de leurs bourreaux en échafaudant le crime parfait, tandis que, dans le second, quatre jeunes amis se lancent dans une partie d’action ou vérité à hauts risques, jusqu’au point de non-retour. Deux textes brefs et tranchants, bien racontés par la reine du polar nordique.
Martine a lu Veiller sur elle, dont nous venons de parler, qu’elle aussi a adoré, mais également Shit de Jacky Schwartzmann, longuement évoqué précédemment. On y suit le parcours de Thibault, CPE dans un quartier sensible de Besançon. Lorsqu'un règlement de compte entre dealers a lieu devant chez lui, il tombe sur beaucoup d'argent et quelques barrettes de shit… et va finir par se transformer lui-même en dealer. C’est loufoque, mais à la fois plausible, avec un humour particulièrement caustique, mais alliant également justesse et finesse. Martine est en train de lire Mohican d’Eric Fottorino, le portrait d’un monde paysan qui refuse de mourir. Elle nous en parlera plus longuement la prochaine fois.
Françoise nous présente Il n’y a pas de Ajar, de Delphine Horvilleur, femme rabbin et écrivaine, un monologue contre l’identité et ses dérives vers le communautarisme, l’appropriation culturelle. L’ouvrage fait référence à Romain Gary qui a obtenu deux fois le Prix Goncourt sous des noms différents. Il met en scène un personnage fictif, fils d’un pseudo, Emile Ajar, créé par Romain Gary, ce que tout le monde ignorait. Durant tout le spectacle, il nous invite à faire ce pas de géant vers l’autre, cet étranger qui sommeille en nous. Un livre à découvrir … Puis un roman d’une centaine de pages que Françoise a abordé avec un peu de méfiance, car il est d’Amanda Sthers, l’ex de Patrick Bruel. Et là surprise, ce livre est subtil , d’une grande délicatesse. Lettre d’amour sans le dire raconte le parcours d’une femme, à l'approche de la cinquantaine, qui analyse sa vie en la dévoilant, par une lettre, à un masseur japonais dont elle devient assez vite amoureuse. Un livre sensuel, tout en finesse, dans la pure tradition de la littérature japonaise. Un vrai petit bijou ! Finissons avec Erri de Luca, un écrivain issu de la bourgeoisie italienne, qui refuse une brillante carrière pour se confronter à la misère du monde en exerçant des métiers manuels. C’est assez ardu à lire, Acide, arc-en-ciel, un livre de 1992, a pour titre les deux premiers mots du dictionnaire qu’il lisait étant enfant. En haut, à gauche est un recueil de nouvelles, assez étranges, ça mérite d’être lu, mais ce n’est pas d’un abord facile.
Comme chaque fois, Chantal nous annonce qu’elle va plomber l’ambiance. Tout d’abord avec l’un de ses auteurs préférés Sorj Chalandon, qu’elle a rencontré au Festival à Besançon, et son dernier roman L’enragé. En choisissant de rendre compte par la fiction de la mutinerie de 1934 à la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer, l’auteur s’intéresse ici au thème de la violence faite aux enfants. Autour de son héros, l’introuvable cinquante-sixième évadé de ce bagne pour enfants, l’ancien grand reporter peint l’enfer du bagne. Mais comment s’échapper quand on est coincé sur une île ? Et peut-on vraiment se refaire quand on n’a connu que les coups, les brimades, les insultes et les humiliations ? Le sujet lui parle, puisqu’il a lui-même été victime de violences durant son enfance. Petite anecdote, Jacques Prévert était sur l’île pour tourner un film, lorsque ces événements sont advenus, il en a fait un très beau poème « La chasse aux enfants », que nous lit Chantal. Un roman sombre, mais prenant, qui fait écho au livre que j’ai déjà présenté, Le gosse de Véronique Olmi. Elle a également rencontré Lionel Duroy, un écrivain journaliste, qui présentait son dernier livre Mes pas dans leurs ombres. Si Chantal s’est intéressée à ce livre, c’est parce que Françoise nous avait présenté un livre Les exportés qui révélait les horreurs perpétrés par la Roumanie. Lionel Duroy nous y emmène dans le sillage d’Adèle Codreanu, journaliste française d’origine roumaine. La jeune femme ne connaît que très peu l’histoire de sa famille et de ses parents exilés du communisme. Lors d’un reportage, au fil des rencontres, Adèle découvre l’histoire tourmentée de la Roumanie. Là-bas, personne ne parle des 400 000 juifs exterminés par l’armée, encore en 2020, c’est comme si l’holocauste n’avait jamais existé. Si l’héroïne est une invention de l’auteur, les faits eux, sont bien réels. Et ça fait froid dans le dos...
Bernadette
Le prochain café littéraire se tiendra le Mardi 9 janvier à 18h30 à la Louisiane